Jour 40 de notre carnet de bord et pour ce 1er mai, un appel des maisons d’Edition indépendantes, de librairies et d’auteurs dont Arcane 17 est signataire.

Le texte dit: « Ce quasi-arrêt temporaire de nos activités nous fait mesurer autant la détermination qui nous anime que les fragilités peuplant nos rangs en « temps normal ». Il nous invite également à penser la suite, car l’étymologie grecque du mot « crise » nous le rappelle : krisis, c’est aussi la nécessité de faire un choix. »

Nous sommes convaincus de la nécessité de ce choix.
Reprendrons- nous au matin du 11 mai le cours de nos vies sur un modèle économique et social qui vient de révéler la dramatique étendue de son échec ou serons-nous capables de faire grandir une autre culture, de la prévention, de l’échange et de la diversité de pensées, de productions « raisonnées et raisonnables», du respect de l’humain et de la nature...?
Sauf à se saisir de ce débat , le pire est devant nous, et nous le savons désormais car nous sommes en train de le vivre.
Alors changeons de logiciel et n’oublions pas la culture et le livre👇

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« NOUS SOMMES EN CRISE » : DES MAISONS D’ÉDITIONS INDÉPENDANTES PRENNENT LA PAROLE
Texte collectif

Nous sommes des professionnel·les du livre et représentant·es de maisons d’édition indépendantes de l’espace francophone. « Indépendantes » : cela signifie que les entreprises représentées ici n’appartiennent pas à un groupe et que leur capital, s’il y a lieu, est détenu par des personnes individuelles, et non par des financiers ou fonds de pension.
Dans cette crise inédite que nous traversons, nos pensées vont d’abord aux malades et aux soignant·es, à toutes celles et ceux qui assurent au quotidien la poursuite de la vie. Chacun le sait, une fois la crise sanitaire endiguée, son impact économique frappera de plein fouet nombre d’entreprises, dont celles de notre secteur. Ce quasi-arrêt temporaire de nos activités nous fait mesurer autant la détermination qui nous anime que les fragilités peuplant nos rangs en « temps normal ». Il nous invite également à penser la suite, car l’étymologie grecque du mot « crise » nous le rappelle : krisis, c’est aussi la nécessité de faire un choix.

Nous sommes en crise, mais qui sommes-nous ?
En France, la filière du livre est extrêmement diverse et fait vivre, sur tout le territoire, un nombre considérable de professionnel·les (près de 81 719, en 2018) [1], personnes individuelles, structures indépendantes ou groupes industriels et intégrés. Outre les auteurs·trices, libraires et éditeurs·trices, en voici une liste non exhaustive : traducteurs·trices, agent·es littéraires, attaché·es de presse, graphistes, correcteurs·trices, photographes, illustrateurs·trices, relations libraires, animateurs·trices littéraires, formateurs·trices, organisateurs de festivals et salons, bibliothécaires, imprimeurs, papetiers, représentant·es et diffuseurs, distributeurs qui gèrent le transport et le stockage des ouvrages, coursiers spécialisés, toute une variété de postes administratifs, comptables… De plus, les textes peuvent irriguer d’autres domaines de la vie culturelle, spectacle vivant, cinéma, audiovisuel…
Depuis plusieurs années, différents mouvements structurels sont à l’œuvre dans ce secteur :
- accélération de la concentration capitalistique au sein de groupes devenus industriels (édition, diffusion-distribution) ;
- surproduction : le livre est majoritairement un marché de l’offre ; en outre, schématiquement, le chiffre d’affaires d’un éditeur est positif les mois où il sort des nouveautés et peut devenir négatif les mois où les libraires renvoient les invendus, d’où la tentation de compenser ces retours par d’autres nouveautés pour générer de la trésorerie…
- prééminence de plus en plus marquée et nécessaire de la question du social (juste rémunération des auteurs·trices et indépendant·es…) et de l’écologie (imprimer localement ou pas, sur quels papiers, destruction des invendus…) ;
- lutte des librairies physiques pour résister à la concurrence de certaines plateformes de vente en ligne, tel le mastodonte Amazon.
Nos maisons nourrissent une forte interdépendance avec la librairie, principalement indépendante, qui a toujours tenu le rôle de passeuse pour nos catalogues. Son rôle s’en trouve aujourd’hui accru. Toutefois, soyons clair·es, le poids économique de nos maisons ne représente, la plupart du temps, qu’une faible part de son chiffre d’affaires. En revanche, vendre nos ouvrages offre à la librairie indépendante une plus-value, lui permet de se distinguerdes propositions des chaînes et des enseignes, et d’être force de conseil. Ce choix préside largement à l’établissement de son identité. Car d’un point de vue culturel et social, l’édition indépendante a un rôle à jouer : notre échelle nous donne la liberté de faire preuve d’audace sans sans être trop contrainte par une gestion économique prévalente.
De fait, une grande part des premiers romans, mais aussi des ouvrages de philosophie, de poésie, de théâtre, de sciences humaines, etc., ne seraient peut-être plus publiés sans des structures comme les nôtres, capables de produire des textes impliquant parfois un faible tirage mais dotés d’une grande valeur intellectuelle, critique et esthétique, et se déployant sur un temps long. Nous défendons des idées, une diversité de la pensée, des fenêtres vers l’ailleurs.
Nous proposons aussi des modèles économiques différents de ceux dela grande industrie du livre, des modèles alternatifs qui se démarquent, voire, pour certains, s’opposent au modèle capitaliste dominant qui, en temps de crise, devient par essence prédateur. Certain·es, parmi nous, sont des structures associatives, des auto-diffusé·es, des diffuseurs-distributeurs à taille humaine, en somme autant de cas qui sont des expérimentations économiques de valeur, mais qui se doivent d’être protégés par la communauté que nous formons.
Deux éléments ne nous sont pas spécifiques, mais communs à toute l’édition : le soutien des acteurs territoriaux et publics par le biais d’aides directes et indirectes et la loi Lang du 10 août 1981 assurant le prix unique du livre, ce qui permet de protéger la filière et de développer l’accès à la lecture. Ces deux points sont essentiels à l’exercice de nos maisons.

Nous sommes en crise, c’est le moment de faire un choix
Le ministre de la Culture Franck Riester a exprimé son soutien à la filière, et particulièrement à la librairie. Antoine Gallimard s’est dit inquiet pour les « petits éditeurs » [voir son interview dans Livres Hebdo]. Inquiets·ètes, nous le sommes aussi. Face à la concentration décrite, souvent peu visible pour les lecteurs·trices, la concurrence est rude pour disposer d’une place sur les tables en librairie quand on ne publie qu’une dizaine de titres par an, sachant qu’en 2018, ce sont 82 313 titres qui ont paru [2], soit l’équivalent de 225 livres par jour.
Ne serait-il pas le moment de ralentir la course à la nouveauté, qui voit un nombre considérable de textes partir au pilon sans avoir eu le temps de toucher lectrices et lecteurs ? Plusieurs des maisons représentées ici, alors même que nos productions sont déjà, en « temps normal », raisonnables et raisonnées, ont déjà fait ce choix pour les mois à venir, afin de préserver les libraires, en se refusant à les accabler sous un « embouteillage » de titres dans la période qui suivra le « déconfinement », mais aussi les auteurs·trices en se donnant la possibilité de défendre au mieux leurs ouvrages.

En effet, les librairies vont rouvrir, mais dans quel état ? Et toutes le pourront-elles ? Le Syndicat de la Librairie française (SLF) appelle à la « création d'un fonds d'intervention consolidant les moyens d’intervention de l’État (Centre national du Livre, ministère de la Culture notamment), des régions et de partenaires privés […] destiné à couvrir la perte d’exploitation des librairies ».

Nous sommes en crise, c’est le moment de proposer et d’agir
Nous soutenons pleinement cet appel et demandons à élargir ce fonds de soutien, tant aux maisons d’édition indépendantes qu’aux travailleurs·euses indépendant·es qui œuvrent à l’existence du secteur elles et eux aussi.
Or, qui porte notre voix à l’échelle nationale ? À l’heure actuelle, personne, dans la mesure où le Syndicat national de l’Édition ne nous semble pas représentatif de maisons comme les nôtres, dont l’économie tient davantage de l’artisanat ou de la petite entreprise que de l’industrie. Pourtant, régionalement ou thématiquement, certain·es d’entre nous sont déjà organisé·es, (les questionnements ne sont pas neufs, leur acuité est accrue par le contexte). Nous travaillerons donc avec elles et eux pour créer dans les mois à venir une organisation professionnelle, sous la forme par exemple d’un syndicat, destinée à nous représenter toutes et tous et à nous permettre de nous fédérer afin de pouvoir avoir une place à la table des négociations interprofessionnelles. Car la France est un pays qui a la chance d’avoir une politiqueculturelle forte, dont l’un des piliers est de garantir l’accès à la lecture au plus grand nombre. Les aides de l’État, mais aussi celles de l’Europe, seront déterminantes dans les semaines qui vont suivre. Au nom de nos spécificités, il est important que nous participions à l’élaboration de ces politiques.
À l’aune de ces réflexions, nous appelons par ailleurs de nos vœux la mise en place d’États généraux francophones de l’Édition indépendante. Ceux-ci pourraient s’appuyersur une collecte préalable de propositions de points à aborder ou d'actions à mener, ouverte à l’ensemble des acteurs·trices de la chaîne du livreévoqué·es en préambule, afin de définir et d’analyser en commun les « dysfonctionnements » pointés par Xavier Moni, mais aussi de révéler des solutions ou des expérimentations proposées à travers l’espace francophone.

À nous de porter notre voix, de devenir force de propositions, et de penser à de nouvelles modalités culturelles et économiques. L’avenir ne pourra s’envisager qu’à travers un dialogue ouvert entre toutes celles et tous ceux qui constituent le monde du livre.

Le Collectif Édition indépendante
Cette tribune est née à l’initiative de Chloé Pathé (Anamosa), Valérie Millet & Sandrine Duvillier (Le Sonneur), Jean-Luc A. d’Asciano (L’Œil d’or), Les Caractères Masqués, collectif d’indépendants au service du livre, en partage avec Dominique Tourte (Invenit), Benoît Verhille (La Contre Allée) et Charles-Henri Lavielle (Anacharsis).

Signataires
Maisons d’édition :
À contresens (Joël Lévêque), À la Criée (Frédéric Barbe), Al Manar (Alain Gorius), ActuSF (Jérôme Vincent), Agone (l’équipe), Agullo (Nadège Agullo, Estelle Flory, Sébastien Wespiser), Airvey éditions (Hervé Mineur), Amsterdam (Lambert Clet, Eva Coly, Nicolas Vieillescazes), Anacharsis (l’équipe), Anamosa (Doris Audoux, Christophe Granger, Monika Jakopetrevska, Marie-Pierre Lajot), Antidata (Olivier Salaün et Gilles Marchand), Arbitraire (Juliette Salique et Renaud Thomas), Arcane 17 (Marie-Pierre Vieu Martin), Art3 éditions (Françoise Plessis), Asphalte (Estelle Durand et Claire Duvivier), Association francophone de haïku (Jean Antonini, Éléonore Nickolay, Geneviève Fillion), Atelier de l'Agneau (Françoise Favretto), Ateliers Henry Dougier (Henry Dougier), Au Vent des Îles (Christian Robert), Aux Forges de Vulcain (David Meulemans), Balzac Editeur (Robert Triquère), Belleville éditions (Dorothy Aubert), Blast (Solène Derrien et Karima Neggad), Bouclard éditions (Thierry Fétiveau, Clément Le Priol, Benjamin Reverdy), Ça et là (Serge Ewenczyk), Cabardès (Monique Subra), Cadex (Hélène Boinard), Callidor (Thierry Fraysse), CBE Éditions (Jean-Pierre Gayraud), Chandeigne (Anne Lima), Chant d'Orties (Béatrice Guillemard), Chronique Sociale (André Soutrenon), Collectif Dystopia, Collectif Smolny, Comité de rédaction de la revue Sensibilités (Q. 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Bertrand Bernard), Éditions du Dragon noir (Patrick Bert), Éditions du Félin (Stéphane Goulhot), Éditions du Linteau (Bernard Marrey et Julien Vitteau), Éditions du Murmure (David Demartis et Jérôme Martin), Éditions du Pacifique (Thierry Théault), Éditions du Sonneur (Sandrine Duvilliers et Jean-Luc Remaud), Éditions du volcan (Frédéric Mélis), Éditions Érès (Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre), Éditions Folies d’encre (Jean-Marie Ozanne), Éditions Ici-Bas (l’équipe), Éditions In8 (Josée Guellil, Sylvie Lemaire, Olivier Bois), Éditions Interlude (Michaël Cormery), Éditions Isabelle Sauvage (Isabelle Sauvage et Alain Rebours), Éditions iXe (Oristelle Bonis, Chloé Iacono), Éditions Jerôme Millon (Jérôme Millon et Marie-Claude Carrara), Éditions La Bibliothèque (Jacques Damade), Éditions La Muse (Delphine Goumaz), Éditions Laborynthus (Gianpaolo Furgiuele, Giovanna-Paola Vergari), Éditions Lamaindonne (David Fourré), Éditions Le Soupirail (Emmanuelle Moysan), Éditions le Ver à soie 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